Répression financière à la pékinoise

Résumé :

- La répression financière (taux d’intérêt bas, réserves obligatoires élevées…) est essentielle pour comprendre le développement de la Chine

- Les contrôles de capitaux et des caractéristiques spécifiques à la Chine sont à la base de cette réussite

- La répression financière est aussi à la base des déséquilibres importants de l’économie chinoise

- Les coûts semblent désormais surpasser les avantages : des réformes s’imposent donc au nouveau gouvernement

La répression financière est fondamentalement mauvaise pour la croissance…

La répression financière est un concept développé dans les années 1970 par McKinnon.

Elle se traduit par des contraintes fortes que font peser les Etats sur les ménages (au profit principalement du gouvernement lui-même) pour capter l’épargne domestique et empêcher le développement financier. Les principales contraintes sont : des taux d’intérêt fixés à des niveaux inférieurs au niveau d’équilibre du marché, des taux de réserves obligatoires élevés, une allocation dirigée des crédits, des banques détenues par l’Etat, des limitations à l’entrée du secteur financier, des contrôles de capitaux…Ces mesures auraient donc un effet négatif puisqu’il existe un lien entre développement financier et croissance.

…mais pas pour la Chine

La Banque Populaire de Chine (PBoC) administre les taux d’intérêt (dépôt et emprunt) dans une bande autour du taux de référence de la PBoC (-10% ; +100%) dans laquelle les banques doivent opérer. Par conséquent, le rendement réel (corrigé de l’inflation) des dépôts bancaires est faible voire négatif en Chine (voir graphique 1). Cela ne déprime ni le taux d’épargne moyen des ménages ni le volume de dépôts bancaires pour deux raisons.

Source : PBoC et calculs de l’auteur

Premièrement, les Chinois sont des « target savers » : il faut qu’ils épargnent un montant minimum d’épargne, notamment pour se constituer une épargne de précaution et s’assurer une meilleure protection contre les risques sociaux (les systèmes d’assurance maladie et de retraite restent encore peu efficaces notamment pour les ruraux). Deuxièmement, il existe très peu d’instruments financiers alternatifs assurant la même sécurité que les dépôts bancaires. En effet, une des raisons principales qui assure l’efficacité de la répression financière en Chine est la présence de contrôles de capitaux très importants à l’entrée bien évidemment (seulement quelques centaines d’investisseurs ont le droit d’acheter et vendre des titres en Chine pour un montant assez limité (0,6% de la capitalisation boursière chinoise), voir QFII) mais surtout à la sortie (seuls les capitaux avec une contrepartie réelle peuvent sortir, typiquement les importations de biens, voir QDII). Cela empêche donc les Chinois de faire sortir leur épargne du circuit financier domestique qui en dehors du secteur bancaire est très peu profond et rentable. Le marché obligataire est très peu développé : le développement du secteur financier domestique est ralenti puisqu’il n’existe pas un actif sûr de référence (voir graphique 2).

Source : Banque Asiatique de Développement

Le marché des actions est aussi peu développé mais est surtout très volatile et la supervision y est faible (c’est la China Securities Regulatory Commission qui a ce rôle mais ses ressources et son autonomie sont insuffisantes, voir graphique 3). Sans de telles restrictions, la Chine pourrait se vider rapidement de son épargne abondante et par conséquent, son développement pourrait être remis en cause. C’est grâce à ces raisons que la répression financière est si efficace en Chine puisqu’elle crée les conditions d’un investissement très peu onéreux dans les mains du secteur public et dont les possibilités sont quasi-illimitées.

Source : Bloomberg

La majorité de l’épargne des Chinois se retrouve donc dans les banques. Or, ces mêmes banques sont détenues à plus de 70% directement ou indirectement par l’Etat. Cet aspect est de première importance car il permet une allocation des crédits vers le secteur industriel (au détriment des services dont la progression naturelle est ralentie depuis 2002 et le regain de la répression financière, voir graphique 4) et la transmission de la politique industrielle du gouvernement s’en trouve plus efficace. Pendant plusieurs années, le gouvernement chinois a pu financer des infrastructures, des entreprises industrielles majoritairement publiques… sur le dos des déposants, pour nourrir la croissance et le décollage économique des dernières décennies.

Source : EIU

Autre composante essentielle de la répression financière, le taux de réserves obligatoires (part des dépôts que les banques commerciales doivent déposer à la PBoC) qui est élevé en Chine et ce même en comparaison des autres pays en développement. Cet instrument a beaucoup été utilisé en Chine notamment pour stériliser les opérations de change de la PBoC à moindre coût. Pour garder un taux de change durablement sous-évalué malgré les tensions structurelles à l’appréciation de la monnaie chinoise, la PBoC effectue des opérations de change en achetant du Dollar US contre du Renminbi. Pour acheter du Dollar US, la PBoC crée massivement de la monnaie. Or cette augmentation de la masse monétaire crée des tensions inflationnistes importantes dans l’économie (avec des possibles tensions sociales mais aussi des pressions à l’appréciation du change via l’inflation). Grâce aux réserves obligatoires, la PBoC va pouvoir faire sortir du circuit bancaire un montant important de monnaie pour stériliser son opération et annuler l’augmentation initiale de la masse monétaire. Cela ne coûte rien au gouvernement et permet de soutenir la compétitivité chinoise en maintenant le taux de change à des niveaux inférieurs à ses fondamentaux. D’autre part, cela permet à la Chine d’accumuler des réserves de change toujours croissantes et se prémunir contre toute crise de balance des paiements, avec en souvenir très présent la crise asiatique des années 1990 (voir graphique 5).

Source : PBoC

Garder un taux de change sous-évalué en Chine a été vital au développement économique.

Historiquement, le développement économique passe par l’investissement. Pour soutenir l’investissement, le gouvernement chinois choisit d’utiliser une politique de répression financière. Avec cette stratégie, l’investissement se développe d’autant plus facilement au vu des caractéristiques chinoises. D’autre part, la répression financière agit contre la consommation privée via l’effet richesse des rendements faibles des dépôts bancaires. Si la consommation est faible et diminue et si l’investissement est massif et se développe comme c’est le cas en Chine alors l’économie produit plus que ce qu’elle ne consomme et la demande domestique ne suffit pas. Si la Chine avait été en autarcie, l’économie serait en surcapacité et des tensions déflationnistes apparaîtraient. Pour éviter d’entrer dans une telle spirale, il faut créer des débouchés à l’exportation et évacuer l’excédent de production. Pour créer des débouchés à l’exportation, il faut que les produits chinois soit compétitifs : le taux de change doit rester sous-évalué.

La répression financière crée donc les moyens du succès chinois mais aussi ses excès et ses faiblesses.

Bien que l’investissement soit à la base du décollage économique de l’Empire du Milieu, la répression financière crée un cercle vicieux dont il est difficile de se sortir et pousse à des excès inefficaces, voire dangereux. En subventionnant le coût du crédit et en dirigeant les prêts majoritairement vers les entreprises publiques et le financement immobilier (la construction immobilière représente 10% du PIB en 2012) créant ainsi une bulle immobilière dont personne ne connait la taille, l’Etat a poussé à un surinvestissement dangereux, notamment lorsque l’on compare par rapport aux autres pays asiatiques. En calculant l’ICOR (Incremental Capital Output Ratio), une mesure de la productivité du capital, on observe une tendance manifeste à la hausse depuis la deuxième moitié des années 2000. Le montant nécessaire d’unités de capital pour créer une unité de production augmente ce qui traduit une inefficacité croissante de l’investissement (voir graphique 6). Une meilleure allocation des crédits vers les PME chinoises innovantes et plus rentables pourrait donc augmenter substantiellement la productivité et soutenir la croissance, même si cette croissance ne sera plus dans les mains du gouvernement. De plus, avec cet accès préférentiel aux SOE (entreprises publiques), les PME ont beaucoup de mal à trouver des financements et se tournent donc vers un marché informel où les coûts de financement et les risques sont élevés.

Source : NBS et calculs de l’auteur

En ralentissant le mouvement structurel vers les services et en soutenant massivement l’industrie, le gouvernement chinois crée un déséquilibre courant structurel important  malgré la réduction de l’excédent à partie de la fin des années 2000 (en raison du programme de relance du gouvernement qui a augmenté l’investissement de manière importante, voir graphique 6)

Source : EIU

Conclusion

C’est grâce à cette politique « hostile » au consommateur que le miracle chinois a pu avoir lieu. Bien que la Chine reste très répressive en matière financière, elle a, depuis les réformes de Deng Xiaoping en 1978, pris des décisions allant vers plus de libéralisation financière, notamment en termes de supervision et de contrôle, avec la création de la CBRC et de la CSRC, en termes de libéralisation des taux d’intérêt (augmentation de la marge de fluctuation légale), de taux de change… Un mouvement de rééquilibrage qui devrait se poursuivre avec le nouveau gouvernement. Mais toujours avec un très grand pragmatisme et beaucoup de prudence pour ne pas rééditer les erreurs passées de la libéralisation financière sauvage prônée par le Consensus de Washington.

 

Diplômé de l'Université Paris Dauphine en Diagnostic Economique, Simon Ganem travaille en tant qu'économiste junior sur l'Asie émergente au sein de la Recherche Economique de Natixis. Ses centres d'intérêts portent sur la politique économique, l'économie internationale et les problématiques européennes.

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